L'Arrivée de Massu en janvier 1957

L'annonce de la grève générale pour la fin du mois déclencha une véritable panique à la préfecture d'Alger, panique qui se ressentit jusqu'au cabinet de Lacoste. L'autorité civile se sentait incapable de lutter contre l'action du F.L.N. Que cette grève réussisse et elle allait réussir, personne n'en doutait et c'était offrir sur un plateau au F.L.N. cette représentativité populaire qu'il briguait, c'était en outre ridiculiser le pouvoir du ministre résidant. Il fallait se rendre à l'évidence : le F.L.N. était le véritable patron d'Alger. Les attentats continuaient, terrorisant chaque jour un peu plus une population européenne qui se sentait abandonnée et pouvait d'un jour à l'autre céder totalement aux mots d'ordre ultras qui prêchaient une justice expéditive. Et ce serait le bain de sang. Pour Lacoste, il n'y avait qu'une solution : extirper le F.L.N. de la ville et récupérer la population. Bref, faire de la pacification à Alger. Et pour cela, confier la capitale à l'armée.
Le choix se porta sur Massu (à gauche). Il était le seul général parachutiste et les régiments de sa 10e D.P. avaient obtenu depuis le début des événements d'Algé­rie les résultats les plus probants. Il était clair pour Robert Lacoste que seuls les léopards pouvaient réussir là où échouaient les civils. Ils avaient des méthodes que l'on ne pouvait employer dans le civil. Et Lacoste leur donnait carte blanche pour vaincre. Ce que le gouvernement ne pouvait décemment dire à des policiers : Travaillez sans vous soucier du carcan des lois, il n'hésitait pas à le dire à des militaires. Le dire... pas l'écrire. Tout passerait sous le couvert du maintien de l'ordre. Pour les léopards, le temps du mépris de l'autorité civile allait commencer.

La sentinelle se figea au garde-à-vous, la mitraillette plaquée en travers de la poitrine. Le général Massu, en tenue camouflée, lui rendit son salut et entra en trombe dans le vieux palais où il avait installé l'état-major Alger-Sahel. Cela sentait la poussière. Il n'y avait pas de meubles si ce n'est quelques tables, bureaux d'écoliers et tableaux noirs déposés dans des sortes de remises. Une grande activité régnait dans les couloirs. Reconnaissant le général, les hommes marquaient un temps d'arrêt pour saluer rapidement et poursuivaient leur tâche. La hiérarchie chez les léopards était très lâche. Les colonels de régiment, tous célèbres : Bigeard, Fossey-François, Château-Jobert, Jeanpierre, Mayer,  avaient réussi cet exploit : se faire respecter et aimer de leurs hommes. Partageant la même nourriture, les mêmes fatigues, les mêmes dangers, n'exigeant aucune des marques de respect outrées qui n'ont cours dans aucune autre société et auxquelles les militaires traditionnels sont si attachés, les colonels de paras avaient entraîné leurs hommes à agir avec efficacité, rapidité et sûreté. Persuadés d'être plus forts que les autres, d'être entraînés par les meilleurs chefs, ce qui était vrai, rien ne leur semblait impossible. Ils entraient dans Alger, s'y installaient, ignorant tout de la peur qui faisait bouillonner le chaudron, ne pouvant même pas la concevoir.

Lacoste (à gauche) et son braie trust savaient qu'en se battant à Alger, en portant le fer dans cet abcès terroriste, chacun recevrait quelques gouttes de pus. C'était l'opération chirurgicale : sauver un homme en lui faisant mal en nettoyant sa plaie à vif, en évitant la gangrène. L'action énergique ordonnée par Lacoste avec la bénédiction de Mollet allait être une sale besogne dont on chargeait les léopards en raison des succès qu'ils avaient obtenus dans le bled. La méthode des paras : agir à la surprise sur renseignement, vaincre grâce à la rapidité de l'action, était la seule qui puisse réussir à Alger.
En outre, les paras étaient commandés par Massu, général à deux étoiles que Lacoste estimait, à juste titre, être le moins politique des militaires efficaces. Massu était l'un des rares généraux à n'être point venu faire sa cour au ministre résidant, de plus c'était un Fran­çais libre, compagnon de la Libération, gaulliste du tout début. Quand Lacoste arrête son choix sur Massu, c'est à cela qu'il pense d'abord. Si surprenant que cela paraisse aujourd'hui, la référence au Grand Charles était fréquente au cabinet de Lacoste. Massu est choisi. On a besoin d'un homme sûr, efficace, pas d'un politique, pas d'un coupeur de cheveux en quatre, un homme à qui on puisse dire : Il faut gagner par tous les moyens. Et il faut que ça aille vite.

Car il ne faut pas l'oublier, bons ministres de gauche, préfets honnêtes, grands administrateurs, hauts fonctionnaires de grande classe, tous disent à Massu à la veille de la bataille d'Alger : Il faut y aller, par tous les moyens. Il faut que ça saigne. Voilà tous les pouvoirs de police. On vous couvre. Il n'y a pas de gants à prendre avec ces pâles voyous qui posent des bombes, tuent des femmes et des enfants. Nous, nous avons préparé un plan de réformes qui rendra heureuse la population musulmane, il faut que vous, en extirpant ce germe F.L.N., vous nous permettiez de pouvoir l'appliquer. »
Et Massu comprend ce langage. Il a la réputation d'être un soldat courageux qui ne se pose pas de problèmes. Contrairement à certains de ses colonels et commandants de la 10e D.P., il n'a pas le goût de la politique, il n'y comprend même rien et s'en flatte.
Les résultats obtenus par la 10e D.P. dans le djebel ajoutent encore au renom de Massu autour duquel gravitent maintenant des colonels dont la réputation grandit de jour en jour et qui, eux aussi, traînent des légendes indochinoises qui impressionnent.Tel est l'homme à qui Lacoste vient de donner carte blanche pour débarrasser Alger de sa vérole.

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Première bataille d'Alger
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